1. L’exposition des riverains reste mal 1. L’exposition des riverains reste mal cernée
Les connaissances sur le sujet sont en cours d’acquisition. Les réponses aux préoccupations des riverains relatives à l’effet des phytos sur leur santé sont donc encore partielles.
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«Il y a dix ans, les inquiétudes liées à la qualité de l’eau portaient sur les nitrates, se souvient Marc Benoît, agronome à l’Inra et organisateur de balades scientifiques (1) à La Vigie de l’eau, association de médiation scientifique dédiée à l’eau, basée dans la ville thermale de Vittel. Maintenant, ce sont les phytos qui suscitent la plupart des questions des visiteurs (curistes, touristes ou locaux). » Invisibles dans l’environnement, les pesticides peuvent cependant être « vus » via les résultats d’analyses de l’eau, de plus en plus précis, et présentés sur les factures qu’ils gonflent si leur concentration excède le seuil de 0,1 µg/l, les eaux devant être dépolluées. Ils véhiculent désormais des inquiétudes tant pour le portefeuille de tous les consommateurs d’eau, que pour la santé.
L’eau du robinet est-elle contaminée ? Comment me protéger des pulvérisations de pesticides dans le champ près de chez moi ? Où mettre mon potager pour qu’il ne reçoive pas de pesticides ? Quels sont les risques pour ma santé et celle de mes enfants ? Ce sont ces questions qui arrivent aux oreilles de Nadine Lauverjat, coordinatrice de l’association Générations futures. « On entend la détresse des riverains », indique-t-elle. Les plus prolixes sont ceux qui vivent dans les bassins de production viticole et arboricole, plus concernés car l’imbrication entre habitat et vignes ou vergers peut y être très forte, comme à Villeneuve-de-Blaye (lire l’encadré ci-contre), ou encore en Rhône-Alpes.
Peur de la dérive
Les pulvérisations hautes et leur fréquence plus élevée sur ce type de cultures occasionnent davantage de dérive des produits appliqués. Dans les bassins de grandes cultures, elle est mieux contrôlée et moins « visible » des riverains, du fait de la moindre fréquence de traitement notamment. « Nous recevons malgré tout des témoignages qui décrivent des pulvérisations jusqu’au grillage qui délimite les terrains », signale Nadine Lauverjat. Son association milite pour que les pesticides de synthèse soient proscrits à proximité des zones d’habitat. « Cela ne signifie pas que nous souhaitons qu’il y ait des zones sans agriculture près des habitations, précise-t-elle, mais qu’il faut adapter les pratiques agricoles et minimiser la toxicité des produits appliqués dans ces zones pour protéger les populations. »
Comme le précisent toujours les évaluateurs, le risque correspond à la multiplication « danger x exposition ». Si les effets des pesticides sur la santé sont avérés, incluant notamment des présomptions fortes de lien avec la maladie de Parkinson et certains cancers (prostate, sang, lymphe), les expositions réelles des populations sont peu documentées. C’est le constat qu’a fait l’Anses dans un rapport paru en août 2016, qui portait sur l’exposition des travailleurs agricoles, soit les personnes les plus exposées aux pesticides. Les données d’exposition de la population générale à ces produits sont encore plus lacunaires. « L’exposition des riverains, c’est quelque chose qu’on connaît mal, prévient Mathilde Merlo, à la tête de l’unité phytopharmacovigilance et observatoire des résidus de pesticides à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire). On a une connaissance fine des expositions alimentaires, mais celles sur les autres sources d’exposition sont beaucoup moins maîtrisées. »
Quelles sont ces autres voies d’exposition ? Pour René Seux, directeur honoraire du Laboratoire d’étude et de recherche en environnement et santé (Leres), qui s’exprimait le 14 mars dernier à l’occasion d’une journée dédiée à ce sujet à Rennes (2), « on ne peut pas dire que la population est exposée aux pesticides via les eaux, sauf quelques rares exceptions ».
L’air passé au crible
Selon lui, la voie d’exposition dominante est la voie alimentaire, et la voie aérienne est une « réelle préoccupation ». Pour lever le voile sur la pollution de l’air, l’Irstea et l’Inra concentrent leurs efforts sur la mesure et sur la modélisation de la dérive aérienne des produits phytos. Ils développent des outils de prédiction de ces émissions mais se heurtent à des difficultés liées au manque d’information, d’une part sur un niveau fin de connaissance des pratiques agricoles (type de pulvé, état du sol…) à l’échelle nationale, et d’autre part sur la formulation des produits phytos, protégée par le secret industriel. « Les suivis réalisés par les Associations agréées pour la surveillance de la qualité de l’air (AASQA) ne permettent pas encore de conclure à une tendance claire sur l’évolution des quantités de phytos dans l’air à l’échelle nationale, résume Carole Bedos, chercheuse spécialiste de la volatilisation des phytos à l’Inra. Les concentrations de pesticides dans l’atmosphère subissent des variations saisonnières, liées aux pratiques agricoles, et des concentrations non nulles sont mesurées, y compris en dehors des périodes de traitement. »
Si Générations futures s’accorde avec René Seux pour dire que la voie alimentaire est la plus exposante pour la population générale, l’Anses est moins catégorique et plus prudente. « Nous ne sommes pas rigoureusement capables de dire quelle voie d’exposition est majoritaire », regrette Mathilde Merlo. Elle estime tout de même que « des expositions ponctuelles par inhalation ou par voie cutanée pourraient ne pas être négligeables ». Celles-ci pourraient survenir, par exemple, lors de l’entrée dans des parcelles précédemment traitées (lire l’encadré ci-dessous), mais aussi à l’intérieur des maisons, où l’air est davantage confiné et les polluants plus concentrés, et via l’utilisation de produits biocides anti-nuisibles, parasites des animaux domestiques compris. Une étude intitulée « Pesti’home », attendue pour 2018, fera la lumière sur cette question.
Dans le cadre du dispositif de phytopharmacovigilance (PPV), d’autres études sont menées pour cerner l’exposition de la population générale aux phytos. Une autre étude, qui cible spécifiquement la mesure de l’exposition des riverains de zones arboricoles et viticoles, débutera début 2018, et une campagne d’analyse de la qualité de l’air est prévue sur tout le territoire (tous types de cultures compris). De quoi apporter des éléments de connaissance sur ces questions fortes de la société.
(1) Promenade pédestre dans les alentours de Vittel visant à échanger avec un public large sur la protection de la ressource en eau en s’appuyant sur l’observation du paysage agricole.
(2) Journée « Exposition des populations aux produits phytosanitaires et risques sanitaires », organisée par l’Académie d’agriculture de France, l’École des hautes études en santé publique, l’Institut de recherche santé environnement travail, avec le soutien de la MSA.
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